29.09.2021

La société à mission

Par Florence Emilien, Notaire

  1. Qu’est-ce qu’une société à mission ?

Née de la Loi PACTE (relative à la croissance et la transformation des entreprises), la société à mission permet à une entreprise d’inscrire dans ses statuts une mission. Celle-ci se compose d’une raison d’être (définissant le futur que l’entreprise veut contribuer à bâtir) et d’objectifs associés (engagements de l’entreprise envers elle-même et son écosystème). Elle s’accompagne de la mise en place d’un dispositif de gouvernance spécifique, le comité de mission, qui est composé d’au moins un salarié et de personnalités externes, et d’une évaluation par un organisme tiers indépendant (OTI). Toute société commerciale (SAS, SARL, etc.) peut se revendiquer comme étant une entreprise à mission dès lors qu’elle répond à différents critères concernant son engagement réel de mener à bien ses objectifs sociaux et environnementaux. La finalité est de concilier la recherche de la performance économique avec la contribution à l’intérêt général.

  1. Les fondements 

Le concept de Benefit Corporations s’est développé depuis plusieurs années aux Etats-Unis et en Australie. En France, le rapport Jacques Attali « Pour une économie positive » publié en 2013 citait que « la définition du contrat de société ne prend pas en compte les nouveaux enjeux du développement durable. …».  (Jacques Attali). Puis le 9 mars 2018, Bruno Le Maire (Ministre de l’Economie) lors de la présentation du rapport de de Nicole Notat & Jean-Dominique Senard, citait « L’entreprise ne se résume pas à la réalisation de profits ». Face à un droit des sociétés « décalé avec la réalité des entreprises et des attentes », ce rapport proposait notamment de modifier le Code civil pour y introduire la notion d' »intérêt propre » de l’entreprise, au-delà de celui de ses actionnaires, ainsi qu’une dimension sociale et environnementale. Ce rapport est venu libérer l’entreprise prisonnière d’une législation datant du 19ème siècle. Ainsi a pris jour la Loi PACTE.

  1. Les Supports juridiques du droit commun des sociétés

La Loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019 (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a permis de repenser la place de l’entreprise dans la société, en organisant notamment en trois étages et en introduisant dans notre législation les notions :

  • d’intérêt social (art. 169, I, 1° ; C. civ., art. 1833, al. 2 nouv. « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »),
  • de raison d’être (art. 169, I, 2° ; C. civ., art. 1835 in fine nouv. « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés. La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité. »),
  • et de société à mission (art. 176, I ; C. com., art. L. 210-10 à L. 210-12 nouveaux.).

Ainsi, le Code de commerce dans ses articles L. 210-10 à L. 210-12, L. 225-35 et L. 225-64, tire les conséquences des modifications introduites dans le Code civil aux termes des articles 1833 et 1835 du Code civil.

  1. Les Supports spécifiques du droit des sociétés

L’article L210-10 du Code de commerce permet aux sociétés d’opter pour le régime de la « société à mission », et organise cette option. Il dispose : « Une société peut faire publiquement état de la qualité de société à mission lorsque les conditions suivantes sont respectées :

  1. Ses statuts précisent une raison d’être, au sens de l’article 1835 du code civil ;
  2. Ses statuts précisent un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité ;
  3. Ses statuts précisent les modalités du suivi de l’exécution de la mission mentionnée au 2°. Ces modalités prévoient qu’un comité de mission, distinct des organes sociaux prévus par le présent livre et devant comporter au moins un salarié, est chargé exclusivement de ce suivi et présente annuellement un rapport joint au rapport de gestion, mentionné à l’article L. 232-1 du présent code, à l’assemblée chargée de l’approbation des comptes de la société. Ce comité procède à toute vérification qu’il juge opportune et se fait communiquer tout document nécessaire au suivi de l’exécution de la mission ;
  4. L’exécution des objectifs sociaux et environnementaux mentionnés au 2° fait l’objet d’une vérification par un organisme tiers indépendant, selon des modalités et une publicité définies par décret en Conseil d’Etat. Cette vérification donne lieu à un avis joint au rapport mentionné au 3° ;
  5. La société déclare sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce, qui la publie, sous réserve de la conformité de ses statuts aux conditions mentionnées aux 1° à 3°, au registre du commerce et des sociétés, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’Etat. ».

Le décret n° 2020-1 du 2 janvier 2020 précise les conditions dans lesquelles la société à mission peut faire état publiquement de sa qualité ainsi que le régime applicable à l’organisme tiers indépendant chargé du suivi de l’accomplissement par la société de la mission qu’elle s’est attribuée. Il détaille le régime applicable à l’organisme tiers indépendant chargé du suivi de ces objectifs.

  1. La société à mission : Qualification – Engagement – Intérêt – Impacts –  Formalités – Fonctionnement 

5.1. La qualification de la société à mission

Pour qu’une société puisse faire publiquement état de cette qualité de société à mission, ses statuts devront d’abord préciser une raison d’être (celle-ci étant constituée « des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité).

5.2. L’engagement de mission

Inscrire une mission dans ses statuts marque un engagement fort pour une entreprise. Cet acte engage formellement les dirigeants et les actionnaires à déployer les moyens nécessaires (financiers, humains, logistiques) pour poursuivre cette mission.

La société peut pour cela s’inspirer des Objectifs de Développement Durables (ODD) de l’ONU. 17 ODD couvrent l’intégralité des enjeux du développement durable. Ils sont un appel à l’action de tous les pays pour s’attaquer aux grands défis mondiaux, de la pauvreté à la préservation des écosystèmes, en passant par la prospérité économique, la paix ou encore l’éducation. Les ODD se déclinent en 5 piliers :

  • Planète : lutter contre la dégradation de la planète ;
  • Population : éliminer la pauvreté et la faim, assurer des conditions de vie dignes et l’égalité des peuples ;
  • Prospérité : concilier les progrès économiques, sociaux et technologiques, et le respect de la nature ;
  • Paix : favoriser la paix et la justice ;
  • Partenariats : nouer des partenariats efficaces et inclusifs afin d’atteindre les ODD.

5.3. L’intérêt

Les principaux avantages de devenir une société à mission sont les suivants :

  • donner du sens aux activités de l’entreprise en fédérant les équipes autour d’une ambition commune (actionnaires, salariés, partenaires) ;
  • améliorer l’image de marque de l’entreprise en affirmant la raison d’être de l’entreprise auprès de ses parties prenantes ;
  • collaborer avec une pluralité d’acteurs dans le domaine de la mission que l’entreprise s’est fixée ;
  • améliorer la performance économique de l’entreprise grâce à l’innovation ;
  • se protéger contre les rachats hostiles ;
  • améliorer la marque employeur.

Ce choix s’adresse donc particulièrement aux entreprises engagées en matière de responsabilité sociale des entreprises qui souhaitent progresser encore. La qualité de société à mission leur permet de mettre leur modèle économique et leur cœur de métier au service de la résolution de problèmes sociaux et environnementaux.

5.4. Impacts

Il a été constaté une croissance rapide du nombre de sociétés à mission depuis l’entrée en vigueur de la Loi PACTE et son décret d’application. On dénombre plus de 100 sociétés à mission. 79 % des sociétés à mission en France relèvent des activités de services. Deux secteurs se détachent : le conseil (31 %) et celui de la finance et des assurances (18 %). Pour la plupart, ces sociétés ont toutes moins de 50 salariés, sont toutes des SAS/SASU et la moitié d’entre elles sont implantées en Île-de-France).

5.5. Les Formalités – La déclaration de la qualité de société à mission au RCS

Le décret n°2020-1 du 2 janvier 2020 relatif aux sociétés de mission entré en vigueur le 4 janvier 2020 détaille les modalités de publicité. La société à mission est une qualité. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’un nouveau statut de société ou une nouvelle catégorie juridique. Les entreprises concernées ne nécessitent pas de changer de forme juridique pour devenir des sociétés à mission. Elles doivent inclure dans leurs statuts les éléments suivants :

  • la notion de raison d’être de l’entreprise au sens de l’article 1835 du Code civil
  • le ou les objectifs sociaux et environnementaux que la société se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité
  • les modalités du suivi de l’exécution des missions.

L’entreprise doit déclarer sa qualité de société à mission au greffier du tribunal de commerce pour publication au Registre du commerce et des sociétés et mention sur l’extrait K ou le K-Bis. Cela permettra de rendre cette qualité opposable aux tiers (clients, partenaires, institutions…). Cette démarche peut intervenir au moment de la création de l’entreprise lors de sa demande d’immatriculation ou au cours de la vie de l’entreprise par une demande d’inscription modificative.

La qualité de société à mission déclarée par une société sera également indiquée au répertoire SIRENE tenu par l’INSEE.

5.6. Fonctionnement

5.6.1. Gouvernance spécifique

Pour les entreprises de plus de 50 salariés, une gouvernance spécifique doit être mise en place pour contrôler l’adéquation entre la raison d’être de l’entreprise et ses pratiques. Ce comité de mission est distinct des organes sociaux et doit comporter au moins un salarié comme autorisé par l’article L 210-12 du Code de Commerce. Il est chargé exclusivement du suivi de la mission : il vérifie que chaque décision prise prend bien en compte les critères sociaux et environnementaux et rédige un rapport annuel.

5.6.2. Contrôle par un organe indépendant

En plus du suivi par un comité de mission, un organisme tiers indépendant (OTI) est désigné par l’entreprise pour vérifier l’exécution des objectifs sociaux et environnementaux. Ce dernier doit faire partie de ceux accrédités à cet effet par le Comité français d’accréditation (COFRAC) ou par tout autre organisme d’accréditation signataire de l’accord de reconnaissance multilatéral établi par la coordination européenne des organismes d’accréditation (European Cooperation for Accreditation ou EA). L’European co-operation for Accreditation (EA) intervient pour la reconnaissance mutuelle des accréditations avec un périmètre de reconnaissance européen avec pour référentiel d’évaluation, la norme internationale ISO/IEC 17011. (Paragraphe 10, du règlement (CE) nº 765/2008, qui établit les exigences générales en matière d’agrément). L’organisme de contrôle procède, au moins tous les 2 ans à la vérification de l’exécution des objectifs que la société se donne pour mission de poursuivre. La première vérification a lieu dans les 18 mois suivant la publication de la déclaration de la qualité de société à mission au Registre du commerce et des sociétés. Pour les plus petites sociétés (de moins de 50 salariés), cette première vérification a lieu dans les 24 mois suivant cette publication.

Pour rendre son avis, l’organisme tiers indépendant (OTI) peut avoir accès à tous les documents détenus par la société qu’il juge utiles. Il peut procéder à des vérifications sur place et doit notamment avoir accès au rapport annuel établi par le comité de mission. L’avis de l’organisme indique si la société respecte ou non les objectifs qu’elle s’est fixés. Le cas échéant, il mentionne les raisons pour lesquelles les objectifs n’ont pas été atteints ou pour lesquelles il lui a été impossible de parvenir à une conclusion. L’avis de l’organisme doit également être publié sur le site internet de la société et demeurer accessible publiquement pendant au moins 5 ans.

5.6.3. Quelles conséquences si l’entreprise ne remplit pas ses missions ?

L’article L 211-11 du Code de commerce sanctionne l’entreprise en cas de non-respect de ses objectifs sociaux dans les conditions de l’article L 210-11 dudit Code, par la révocation de sa qualité de société à mission. En cas de non atteinte des objectifs, une procédure de retrait de la qualité de société à mission peut être engagée auprès du président du tribunal de commerce compétent aux fins d’enjoindre au représentant légal de la société de supprimer la mention « société à mission » de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société. Cette procédure peut être engagée par le ministère public ou toute personne intéressée. Cette suppression nécessite une nouvelle formalité modificative auprès du greffe du tribunal de commerce. Elle résulte de l’article L 210-11 du Code de Commerce.

5.6.4 L’observatoire des sociétés à mission

Doté d’un conseil scientifique, l’Observatoire des Sociétés à Mission a pour vocation d’être la référence des entreprises inscrivant leur mission au cœur de leurs statuts. Il recense les sociétés, partage leurs démarches pour en inspirer d’autres et nourrit la recherche académique par des cas pratiques. Il a également pour ambition d’aider les pouvoirs publics dans le suivi de la dynamique d’adoption de la loi Pacte. Il comprend le Baromètre des Sociétés à Mission réalisé avec Mines ParisTech, ainsi qu’un site web dédié (accessible via le site web de la Communauté des Entreprises à Mission) dévoilant les informations clés de toutes les sociétés à mission. L’Observatoire contribue de façon majeure à la mission de la Communauté et à son objectif d’intérêt général.

Sources : Afep. Rapport au gouvernement N.Notat et J.D Senard, L’entreprise, objet d’intérêt collectif. La raison d’être d’une société ».Entreprises à mission et raison d’être (2020)/ Alain PIETRANCOSTA Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Réalités Industrielles – Novembre 2019. – Observatoire des Sociétés à Mission – Baromètre de sociétés à mission. Data.economie.gouv.fr. Cofrac. Règlement (CE) nº 765/2008.CCI. Guide « Entreprises à mission : de la théorie à la pratique ».Bpi 
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