27.01.2023

Le prélèvement compensatoire

Par Pauline LACHICHE, Notaire

Le règlement d’une succession internationale peut se révéler ténu au regard de l’application d’une loi étrangère. Le notaire est désormais bien aguerri pour utiliser les outils à sa disposition afin de proposer à ses clients étrangers de l’estate planning international. La France est ainsi partie à la coopération renforcée des Etats de l’Union européenne liés par le règlement européen numéro 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions entré en vigueur à compter du 17 août 2015. Tout loisir est donné au notaire de conseiller la clientèle internationale à l’effet de faire un choix de loi pour régir la dévolution de ses biens en choisissant la loi de leur nationalité, que cette personne soit ressortissante de l’Union européenne ou non.

La problématique actuelle résulte de nouvelles dispositions introduites par la loi n°2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Cette dernière a en effet réinstauré un droit de prélèvement dit « compensatoire » au profit des enfants héritiers réservataires lorsque la loi successorale étrangère ne connaît aucun mécanisme protecteur en leur faveur. L’article 913 du Code civil entré en vigueur au 1er novembre 2021 est ainsi complété d’un nouvel alinéa qui dispose « Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci. »

L’application de ce texte pose de multiples difficultés. Introduit à l’origine en perspective de  protéger les héritiers de sexe féminin dans une succession gouvernée par la Charia alors que le règlement européen prévoit pourtant d’évincer toute loi étrangère qui ne serait pas conforme à l’ordre public international en raison d’une quelconque discrimination fondée sur le sexe ou la religion, ce prélèvement compensatoire vient lourdement pénaliser les lois anglo-saxonnes ou même israélienne de sorte que l’estate planning mis en place dans les années antérieures pourrait être remis en cause si le défunt ou ses enfants, vivants ou représentés, ont des liens étroits avec l’Union européenne tant par leur nationalité que leur résidence habituelle au moment du décès.

Ces nouvelles dispositions amènent deux problématiques :

  • Remise en cause de l’unicité de la loi applicable à la succession : le notaire saisi d’une succession éligible se doit d’informer les héritiers réservataires de leurs droits de compenser leur éviction par un prélèvement sur les biens existants en France. Cela supposerait de dresser un calcul de ce qui aurait pu leur échoir par application de notre droit interne en comparaison de l’application de la loi étrangère. Or, ce droit de prélèvement s’applique dès lors que les libéralités consenties par le défunt ont pu porter atteinte aux droits réservataires. Ne sont pas seulement visés les legs mais également toute donation faite du vivant du défunt. La mise en œuvre de ce mécanisme sera d’autant plus difficile pour le notaire qui devra s’enquérir de toute donation faite à l’étranger. Le législateur a introduit par ce biais une supériorité du droit français sur nos règles de droit international privé issu du droit européen. Est totalement méconnue la possibilité de voir appliquer en France une loi étrangère pour régir la succession dès lors qu’elle est plus permissive que la loi française ne l’est. Cette méconnaissance de la volonté du défunt est d’autant plus frappante que la masse de calcul des droits ainsi déterminés serait le patrimoine mondial quand bien même les modalités d’exercice se cantonneraient aux biens existants en France. Il serait alors parfois très difficile en cas de revendication des bénéficiaires de ce droit de ne pas leur accorder une quote-part très importante sur les biens laissés en France au jour du décès.
  •  Interprétation de la notion de « droits réservataires » : rien n’est spécifié sur l’interprétation à donner. Or, certains droits étrangers, quand bien même aucune fraction de la succession n’est destinée à préserver le patrimoine au sein de la famille, connaissent une forme d’allotissement présentée comme une créance contre la succession qui revêt une acception plus alimentaire que patrimoniale. Il reviendrait donc au notaire saisi d’interpréter les dispositions de l’article 913 alinéa 3 du Code civil. La prudence veut toutefois que le calcul des droits théoriques des enfants ou petits-enfants soit systématiquement réalisé. Il semble en effet périlleux qu’il appartienne au praticien d’interpréter la notion de droits réservataires d’autant que le conjoint survivant ne semble pas concerné alors qu’il est réservataire sous l’égide du droit français à défaut de descendance.

L’instauration de ce droit de prélèvement contredit tant la réglementation européenne d’application immédiate sur notre territoire que la jurisprudence récente qui ne retenait pas comme contraire à l’ordre public international en France l’application d’une loi étrangère « qui ignore la réserve héréditaire » sous réserve qu’elle ne laisse pas les héritiers « dans une situation de précarité économique ou de besoin » (Cass.Civ1 27 septembre 2017 n°16-13.151 et n°16-17.198). Nous ne pouvons pour autant ignorer ce mécanisme qui se veut correctif en exposant de manière simple aux clients leurs droits en concours. A défaut de trouver un accord à l’amiable, il leur appartiendra de faire trancher le litige. Juge de paix, le notaire ne saurait espérer un conflit porté devant un magistrat. Force est pourtant de constater qu’en l’état, seule une question préjudicielle saurait nous sauvegarder de la pérennité d’un tel texte, qu’elle soit portée devant le Conseil Constitutionnel notamment pour la discrimination fondée sur tous les ressortissants ou non-résidents hors de l’Union européenne non éligibles au prélèvement ou encore devant la Cour de Justice de l’Union européenne pour méconnaître un règlement auquel la France est partie.

Le contournement de ce mécanisme est d’importance pour des clients qui souhaiteraient laisser l’ensemble de leur succession au survivant du couple. Le conseil du notaire est d’autant plus important pour mettre en place de nouvelles stratégies de planification successorale.

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