21.03.2024

De l’évolution du régime de participation aux acquêts

Par Gaspard Temple-Boyer, Etudiant M2 Droit Notarial Paris-Dauphine et Gwénola Devallet, Notaire associée

Le régime de participation aux acquêts est un régime matrimonial du droit civil français institué par la Loi n°65-570 du 13 juillet 1965 portant réforme des régimes matrimoniaux. Emprunté aux systèmes juridiques européens voisins (étant le régime légal dans les pays scandinaves ainsi qu’en Allemagne, ou encore en Suisse), ce régime n’a pas fait l’unanimité, tant est qu’il n’y est que très marginalement fait recours en France.

Prévu aux articles 1569 à 1581 du Code civil, ce régime fonctionne en deux temps. Rédigé d’un seul tenant, l’article liminaire combine à la fois des règles du régime de la séparation de biens et celui de la communauté. Ainsi, cela assure d’une part, une facilité de gestion et autonomie patrimoniale, et d’autre part, un enrichissement des époux à égalité. À ce titre, le régime est perçu successivement comme un régime de séparation de biens pendant la durée du mariage puis intègre des règles de liquidation propres au régime légal, lors de la dissolution du régime matrimonial.

Considérant le régime de participation aux acquêts, une solution a été apportée quant à l’efficacité, jusqu’à présent limitée, de l’adjonction au contrat d’une clause d’exclusion des biens professionnels, clause usitée pour protéger notamment un époux entrepreneur, chef d’entreprise.

Ne prenant effet qu’à la dissolution du mariage, celle-ci n’emporte de conséquences que sur la liquidation des créances de participation des époux.

I. La nature controversée de la clause d’exclusion des biens professionnels dans le calcul de la créance de participation

L’évaluation des éventuelles créances de participation s’effectue par une comparaison des patrimoines originaire et final respectifs.

Par l’insertion d’une clause d’exclusion des biens professionnels, les époux s’accordent pour que ne soient pas pris en compte ces actifs pour la détermination de la créance.

Par conséquent, l’enrichissement de chacun des époux ne reposera que sur leurs actifs personnels. L’enrichissement de l’époux qui bénéficierait de la clause s’en trouve réduit, pouvant être l’occasion d’un avantage majeur dans le cas où son conjoint aurait connu un profit personnel bien plus important que professionnel. Par le jeu de cette clause, il existe donc un risque d’inverser la titularité de la créance de participation.

Le point litigieux concernant cette clause a été celui de la qualification juridique en tant qu’avantage matrimonial et des conséquences engendrées au temps du divorce. En d’autres termes, l’insertion d’une clause d’exclusion des biens professionnels sera-t-elle affectée en cas de divorce ?

Le doyen Carbonnier définit l’avantage matrimonial en tant qu’ »enrichissements résultant au profit d’un époux et à l’encontre de l’autre du seul fonctionnement du régime matrimonial adopté ».

Aménageant les règles liquidatives en cas de dissolution du mariage, cette qualification concernant la clause d’exclusion des biens professionnels a été longuement débattue.

La Cour de cassation a tranché cette question dans un arrêt fortement commenté, rendu en 2019, en estimant que la clause d’exclusion des actifs professionnels insérée dans un régime de participation aux acquêts constitue un avantage matrimonial révoqué de plein droit par l’effet du divorce en application de l’article 265 alinéa 2 du Code civil. Ainsi, sauf accord des ex-époux, ces actifs seront pris en compte dans le calcul des créances de participation et pouvant influer sur l’indemnité à verser à celui s’étant le moins enrichi.

Cette solution a été renouvelée par cette même juridiction le 31 mars 2021, venant l’ériger comme principe[1].

Néanmoins, l’intérêt de ces solutions jurisprudentielles ne tient pas seulement à la reconnaissance de la qualification de ladite clause.

En effet, l’enjeu du litige dans chacune de ces affaires était de reconnaître la révocabilité de plein droit de ces clauses en matière de divorce, en application de l’article 265 du Code civil.

II. La révocabilité ad nutum de la clause des biens professionnels au temps du divorce

L’article 265 du Code civil, issu de la loi n°2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, régit le sort avantages matrimoniaux et donations au temps du divorce. Ainsi, son alinéa 2 prévoit une révocabilité de plein droit des avantages matrimoniaux, sauf volonté contraire exprimée par celui ayant consenti cet avantage.

En considérant cette révocabilité de plein droit, la clause d’exclusion des biens professionnels dans la valorisation de la créance de participation tombe sous le joug d’un mariage dénoué. En d’autres termes, elle perd toute l’utilité recherchée par divorce, alors même que tel n’aurait pas été le cas en cas de décès.

Dès lors, il est opportun de réfléchir à l’intérêt de prévoir cette stipulation, qui ne s’appliquerait pas au divorce, alors même qu’elle a pour objet de préserver indirectement l’activité économique des époux en octroyant une opacité entre les patrimoines personnel et professionnel.

III. La consécration législative d’une clause à l’efficacité désormais pleine

Le 10 janvier 2024, le Législateur a entendu mettre un terme à l’instabilité quant à l’efficacité de la clause.

En effet, l’adoption d’un amendement n°CL10, inséré dans la Proposition de loi n°1961 visant à garantir une justice patrimoniale au sein de la famille, offre un nouvel avenir à la clause d’exclusion des biens professionnels. Cet amendement introduit un nouvel alinéa à l’article 265 du Code civil, clarifiant la nature juridique de cette clause et son régime en cas de dissolution du mariage par divorce.

Dès lors, l’article précité se dotera de l’alinéa suivant : « La clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne constitue pas un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit en cas de divorce.« 

La clause jusqu’à présent litigieuse devient formellement un avantage matrimonial dont la révocabilité n’est pas de droit mais résulte de la volonté des parties.

Cette avancée marque un renforcement de l’autonomie de la volonté en matière matrimoniale. Dorénavant, cette modification vient sécuriser l’époux dont les actifs professionnels ont connu une croissance significative comparativement à ses actifs personnels pendant le mariage.

Cependant, un risque subsiste : celui de l’inversion du bénéficiaire de la créance de participation.

En effet, l’époux qui, en application de la clause, connait un enrichissement inférieur à celui réalisé par son conjoint devient créancier d’une créance de participation alors même qu’il en aurait été débiteur en absence de clause. Cette dynamique complexe souligne la nécessité pour les futurs époux – ou ceux changeant de régime matrimonial – d’avoir conscience des implications de cette clause.

[1] Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 31 mars 2021, 19-25.903, Inédit

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