12.06.2024

Libertés graduelles et résiduelles

Par Perrine Haaser et Carla Faravellon, Etudiantes M2 Droit Notarial Paris-Dauphine et Gwénola DEVALLET, Notaire associé

Les donations graduelles et résiduelles, un outil méconnu permettant d’assurer la conservation du patrimoine au sein de la famille.

Introduites par la réforme du droit des successions du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007, les donations graduelles et résiduelles sont désormais consacrées par le législateur, mettant fin à la prohibition dont elles faisaient l’objet depuis l’Ancien droit.

Ces libéralités permettent à une personne par voie de donation (le donateur) ou de testament (le testateur) , de choisir les bénéficiaires successifs de cette libéralité, à savoir les donataires ou légataires.

Concrètement, le disposant choisit de gratifier dans un premier temps une personne dénommée le grevé, et au décès de ce dernier, de gratifier un second bénéficiaire à savoir l’appelé.

Cette technique de libéralité dite « substitutive » a pour but d’organiser sur le long terme la transmission du patrimoine. Elles présentent des avantages tant civils que fiscaux qu’il convient de développer.

I. Analyse civile

Les donations graduelles et résiduelles se distinguent par la nature de l’engagement du grevé.

En effet, dans le cadre de la libéralité graduelle, le disposant lègue ou donne des biens à charge pour le grevé de s’engager à les conserver et à les transmettre à son décès à l’appelé.

Il convient de préciser que le terme de charge renvoie à une obligation pesant sur le premier gratifié.

S’agissant de la libéralité résiduelle, elle est moins contraignante pour le grevé qui s’oblige à transmettre des biens à son décès au profit de l’appelé sous réserve qu’il soit toujours en leur possession. Là réside toute la nuance : à l’occasion d’une libéralité résiduelle, le premier gratifié peut disposer de son vivant des biens comme il le souhaite (écartant de ce fait la possibilité de disposer des biens par testament).

Plusieurs conditions doivent être réunies pour pouvoirs procéder à ces opérations :

    • Le disposant doit avoir la capacité de disposer à titre gratuit,

    • Le grevé doit accepter les différentes charges pesant sur lui, savoir accepter et s’engager à conserver le bien dans le cadre d’une donation graduelle, ainsi que de le transmettre au second bénéficiaire,

    • Les biens doivent être identifiables à la date de la transmission et se retrouver en nature au décès du grevé,

Reposant sur une double transmission à titre gratuit, les libéralités graduelles et résiduelles présentent l’avantage pour le disposant d’organiser de son vivant la transmission de son patrimoine, notamment sur plusieurs générations. C’est un outil efficace pour assurer le maintien d’un bien immobilier dans la famille.

Par exemple, M. Durand est propriétaire d’une maison en Alsace. Il souhaite la transmettre de son vivant à son fils, André, tout en voulant que Baptiste, son petit-fils, en soit également propriétaire au décès d’André.

    • Dans le cadre d’une donation graduelle, André devra s’engager à conserver la maison afin de la transmettre à son décès à Baptiste.

    • Dans le cadre d’une donation résiduelle, André pourra disposer de la maison qu’il a reçue comme il le souhaite. Si à son décès la maison se retrouve dans sa succession, elle reviendra à Baptiste.

 II. Analyse fiscale

Sur le plan fiscal, les libéralités graduelles et résiduelles suivent le même régime et sont dites à double détente. En effet, le fait générateur de l’impôt surviendra par deux fois.

Une première taxation aura lieu lors de la transmission du bien au profit du premier gratifié.

Lors de la donation ou au décès du testateur, le grevé sera imposé aux droits de mutation à titre gratuit en fonction de son lien de parenté avec le testateur ou le donateur. Une question anime la doctrine au sujet de l’assiette de l’impôt à retenir dans le cas spécifique des libéralités graduelles. En effet, une libéralité graduelle oblige le donataire ou le légataire à prendre à sa charge la conservation du bien dans son intégrité et ne peut donc l’aliéner. Certains soutiennent alors l’application d’une décote sur la valeur de l’actif transmis. Toutefois, les juges de cassation refusent d’appliquer cette décote et de retenir une analyse économique de l’évaluation de l’assiette imposable par le grevé

Une seconde taxation interviendra lors du décès du premier gratifié (le grevé). De ce fait, l’appelé sera soumis aux droits de mutation à titre gratuit en fonction de l’assiette et du tarif imposable au décès du grevé.

Les droits de mutation dus par l’appelé seront calculés en fonction de son lien de parenté avec le donateur ou testateur initial. Il résulte de cette double taxation la possibilité pour l’appelé de déduire de ses droits le montant des droits qui avaient été versés par le premier bénéficiaire de la libéralité, soit le grevé. L’appelé bénéficie seulement d’un simple droit d’imputation et ne peut pas bénéficier de la restitution d’impôt si le montant initialement payé par le grevé était supérieur au montant dû par l’appelé. Cette imputation est prévue aussi bien dans le cadre des donations graduelles que résiduelles.

Dans l’exemple précédent, une première imposition aura donc lieu lors de la donation faite par Monsieur Durand à son fils André. Par la suite, lors du décès d’André, une seconde imposition sera due lors de la transmission à Baptiste en fonction des liens de parenté entre Monsieur Durand et Baptiste. De plus, lors de cette seconde taxation, Baptiste pourra bénéficier d’une imputation des droits déjà versés lors de la donation de Monsieur Durand à André.

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