07.10.2021

Encadrement des Loyers et Projet de loi 4D

Par Maître Florence EMILIEN, Notaire.

Mercredi 21 juillet 2021, le Sénat a adopté avec modifications le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.

Ce Projet vise à « construire une nouvelle étape de la décentralisation ».

Le titre III « L’urbanisme et le logement » prévoit : la prolongation de l’expérimentation sur l’encadrement des loyers (art. 23).

I . Historique de l’encadrement des loyers – petit rappel

Les textes initiaux

Le dispositif d’encadrement des loyers, prévu à l’article 17 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986 est venu compléter le dispositif d’encadrement de l’évolution des loyers. Chaque année, en effet, depuis 2012, un décret d’application de l’article 18 de la loi du 6 juillet 1989 précitée est pris pour encadrer l’évolution des loyers dans 28 agglomérations en France où les tensions locatives sont les plus fortes. Ainsi, au moment du renouvellement du bail ou du changement de locataire, le loyer d’un bien ne peut plus excéder le dernier loyer appliqué, revalorisé le cas échéant sur la base de l’évolution de l’indice de référence des loyers (IRL). Cette mesure effective sur l’ensemble de ces zones vise à stopper la spéculation et les hausses abusives des loyers dans un contexte d’augmentation des prix de l’immobilier.

La loi ALUR

Le déploiement de ce dispositif obéit au respect d’un certain nombre de règles prévues par la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR). Depuis la publication de la loi ALUR, les textes d’application ont été pris. (décret n° 2014-1334 du 5 novembre 2014 relatif aux observatoires locaux des loyers, aux modalités de communication et de diffusion de leurs données et à la création du comité scientifique de l’observation des loyers, lequel vient préciser les règles relatives à la gouvernance des Observatoires locaux des loyers (OLL) et décret n° 2015-650 du 10 juin 2015, lequel précise les modalités de détermination des loyers de références et les critères permettant de déterminer les caractéristiques susceptibles de justifier un complément de loyer).

Le dispositif d’encadrement des loyers de la Loi ALUR a été invalidé par le Tribunal administratif de Paris en 2017. Par un jugement du 28 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a annulé les arrêtés préfectoraux des 25 juin 2015, 20 juin 2016 et 21 juin 2017 fixant les loyers de référence, loyers de référence majorés et loyers de référence minorés à Paris, pour les périodes du 1er août 2015 au 31 juillet 2016, 1er août 2016 au 31 juillet 2017 et à compter du 1er août 2017. Par un jugement du 28 novembre 2017.

Le dispositif issu de la loi ALUR prévoyait que l’encadrement du niveau des loyers s’appliquait automatiquement sur l’ensemble des zones dites de tension locative définies à l’article 17 de la loi du 6 juillet 1989.

La loi ELAN

La loi Elan n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique a dans son article numéro 140, remplacé le dispositif d’encadrement des loyers par une expérimentation, pour une durée de cinq ans, sur la base du volontariat. (ARTICLE 140 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000037642425/).

Le rapport d’évaluation de l’expérimentation doit être remis au Parlement au plus tard au printemps 2023.

L’article 140 de la loi ELAN, concerne également les « zones tendues » mais est restreint à celles qui présentent une candidature à l’expérimentation.

II . Les zones tendues

La zone tendue créée par le Décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 est une zone géographique qui regroupe au total 1.149 communes composant 28 agglomérations de métropole :  Ajaccio, Annecy, Arles, Bastia, Bayonne, Beauvais, Bordeaux, Draguignan, Fréjus, Genève-Annemasse, Grenoble, La Rochelle, La Teste-de-Buch – Arcachon, Lille, Lyon, Marseille – Aix-en-Provence, Meaux, Menton-Monaco, Montpellier, Nantes, Nice, Paris, Saint-Nazaire, Sète, Strasbourg, Thonon-les-Bains, Toulon, Toulouse.

https://www.service-public.fr/simulateur/calcul/zones-tendues

La zone détermine :

  • Pour un terrain constructible : l’application de la taxe foncière sur les propriétés non bâties (TFPNB) ;
  • Pour un logement vacant : l’application de la taxe sur les logements vacants (TLV) applicable à certaines communes ;
  • Pour un logement loué (bail d’habitation) : le droit du locataire à un préavis d’1 mois (logement vide ou loi 1948), l’application de l’encadrement des loyers (logement vide ou meublé).

III . Le dispositif actuel mis en place par la loi ELAN

Pour chaque territoire soumis à l’encadrement des loyers, l’article 140 I, 4° de la loi ELAN prévoit que « le représentant de l’Etat dans le département fixe, chaque année, par arrêté, un loyer de référence, un loyer de référence majoré et un loyer de référence minoré, exprimés par un prix au mètre carré de surface habitable, par catégorie de logements et par secteur géographique ».

III.I . Champs d’application géographique et intemporel

https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/presentation_dispositif%20exp%C3%A9rimental%20d%27encadrement%20du%20niveau%20des%20loyers.pdf

L’expérimentation peut être mise en œuvre dans les zones tendues, à la demande des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière d’habitat, de la commune de Paris, des établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, la métropole de Lyon et la métropole d’Aix-Marseille-Provence. Avec la loi Elan, l’encadrement des loyers est désormais expérimental.

Les territoires concernés par le dispositif d’encadrement des loyers sont ceux pour lesquels les collectivités candidates justifient que les quatre critères fixés par l’article 140 de la loi ELAN sont remplis.

Ces collectivités peuvent déposer une demande auprès du ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales dans un délai de deux ans suivant la publication de la loi, soit au plus tard le 24 novembre 2020, en accompagnant leur demande d’un descriptif du périmètre du territoire susceptible d’être encadré et des éléments justifiant que les critères d’éligibilité à l’expérimentation sont remplis pour le périmètre proposé.

Au 24 novembre 2020, à l’issue du délai de candidature de 2 ans ouvert par l’article 140 de la loi ELAN, l’encadrement des loyers a pu être mis en œuvre sur le territoire de deux communes : Paris (décret n° 2019-315 du 12 avril 2019 fixant le périmètre du territoire de la ville de Paris sur lequel est mis en place le dispositif d’encadrement des loyers) et Lille (décret n° 2020-41 du 22 janvier 2020 fixant le périmètre du territoire de la métropole européenne de Lille sur lequel est mis en place le dispositif d’encadrement des loyers).

Début juin 2021, l’encadrement des loyers s’applique à :

  • Paris (depuis le 1er juillet 2019)
  • A Lille et deux communes limitrophes Hellemes et Lomme (depuis le 1er mars 2020)
  • Dans les communes de la communauté Plaine commune, Aubervilliers, Epinay-sur-Seine, L’Île-Saint-Denis, la Courneuve, Pierrefitte, Saint-Denis, Saint-Ouen, Stains et Villetaneuse (depuis le 1er juin 2021). Sources https://www.smartloc.fr/blog/encadrement-des-loyers/.

Et d’autres villes dont Lyon, Bordeaux, Montpellier, Grenoble et une partie de la proche banlieue parisienne ont réclamé l’application sur leur territoire d’un plafonnement des loyers d’habitation comme c’est déjà le cas à Paris et Lille. sont en attente de validation. https://www.pap.fr/actualites/les-villes-qui-appliqueront-l-encadrement-des-loyers-en-2021/a22055.

Le projet de loi « 4D », pour décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification, présenté en Conseil des ministres ce 12 mai, offre des réponses et des outils pour mettre en œuvre les politiques publiques dans les territoires, sur des thèmes comme le logement, la transition écologique, la santé ou encore la mobilité prolonge dans son article 23 l’expérimentation sur l’encadrement des loyers, et donc la durée totale du dispositif de trois ans, soit jusqu’au 23 novembre 2026, afin de permettre une plus grande pertinence de l’évaluation. Il propose également de renforcer l’accès à la CDC et d’améliorer l’articulation du dispositif avec le cas de la colocation à baux multiples. http://www.senat.fr/leg/tas20-144.html

III.II . Champs d’application matériel

Sont à ce jour concernés les baux suivants :

  • Contrat de location de logement vide (Titre Ier – loi du 6 juillet 1989)
  • Contrat de location de logement meublé (Titre Ier bis – loi du 6 juillet 1989)

Le dispositif s’applique aux baux de résidence principale signés depuis le 1er juillet 2019, en cas de première mise en location ou lors du renouvellement du bail arrivé à échéance. Les Baux soumis à la Loi 1948 ne sont pas concernés.

  • Bail mobilité – logement meublé (Titre Ier ter – loi du 6 juillet 1989).

Dans le projet de Loi 4D, « En cas de colocation du logement définie à l’article 8-1 de la même loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée, le montant de la somme des loyers perçus de l’ensemble des colocataires ne peut être supérieur au montant du loyer applicable au logement en application du présent article. ». http://www.senat.fr/leg/tas20-144.html

IV . Comment ça marche ?

Chaque loyer de référence est égal au loyer médian calculé à partir des niveaux de loyers constatés par l’observatoire local des loyers selon les catégories de logements et les secteurs géographiques.

Chaque loyer de référence majoré et chaque loyer de référence minoré sont fixés, respectivement, par majoration et par minoration du loyer de référence.

Le loyer de référence majoré est égal à un montant supérieur de 20 % au loyer de référence.

Le loyer de référence minoré est égal au loyer de référence diminué de 30 %.

Si le logement est situé dans une zone tendue, le bailleur aura l’obligation de fixer un loyer compris entre le loyer de référence minoré et le loyer de référence majoré.

Le site de la préfecture d’île de France permet de calculer le loyer de référence d’un logement en tenant compte de ses caractéristiques, de sa situation géographique.

L’article 140 III-B prévoit en effet qu’ : « Un complément de loyer peut être appliqué au loyer de base tel que fixé au A du présent III pour des logements présentant des caractéristiques de localisation ou de confort le justifiant, par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique ».

Le complément de loyer doit-être justifié par un élément exceptionnel (vue exceptionnelle, équipements particulièrement luxueux) en comparaison avec les logements similaires situés dans la même zone géographique.

En cas de complément de loyer injustifié ou d’un loyer supérieur au loyer de référence majoré, Le locataire pourra solliciter une baisse de son loyer.

Le locataire qui souhaite contester le complément de loyer dispose d’un délai de trois mois à compter de la signature du bail pour saisir la commission départementale de conciliation prévue à l’article 20 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 précitée, sauf lorsqu’il s’agit d’un bail mobilité soumis au titre Ier ter de la même loi.

A l’issue d’un débat par devant la commission de conciliation, un avis non exécutoire sera rendu (positif ou négatif).

En cas d’avis positif, le locataire pourra alors se rapprocher de son propriétaire afin de solliciter la baisse de son loyer, qui sera en principe rétroactive, dès la signature du bail.

Si la commission de conciliation considère que la baisse de loyer est justifiée, le locataire pourra alors se rapprocher de son propriétaire afin d’en faire la demande.

En cas de refus de la part du propriétaire, le locataire est en droit de saisir le Tribunal compétent d’une demande d’annulation ou de diminution du complément de loyer, dans un délai de trois mois à compter de la réception de l’avis de la commission départementale de conciliation.

V . La commission départementale de conciliation (CDC)

La commission départementale de conciliation (CDC) aide propriétaire (bailleur) et locataire à trouver une solution amiable à leur litige. Selon le type de litige (état des lieux, décence, …), il peut être obligatoire de saisir la CDC avant de faire appel au juge. La CDC intervient gratuitement. Attention, le locataire et le propriétaire d’un logement loué avec un bail mobilité n’ont pas accès à la commission de conciliation.

La CDC intervient lorsque le logement loué (vide ou meublé) constitue la résidence principale du locataire, que le bailleur soit un propriétaire privé ou un bailleur social.

       A- Logement privé

La CDC est compétente pour les litiges individuels suivants :

  • Dépôt de garantie
  • État des lieux d’entrée ou de sortie
  • Logement décent
  • Ameublement (uniquement pour un logement loué meublé)
  • Réparations incombant au bailleur ou au locataire
  • Charges locatives
  • Préavis (congé) donné par le bailleur ou le locataire
  • Fixation du nouveau loyer (bail de sortie de la loi de 48)
  • Fixation du loyer lors de la mise ou remise en location
  • Hausse d’un loyer sous-évalué (au renouvellement du bail)
  • Baisse d’un loyer sur-évalué (en cours de bail ou au renouvellement du bail)
  • Complément de loyer

 

      B- Logement social

La CDC est compétente pour les litiges individuels suivants :

  • Dépôt de garantie
  • État des lieux d’entrée ou de sortie
  • Logement décent
  • Réparations incombant au bailleur ou au locataire
  • Charges locatives
  • Congé donné par le locataire

Attention : Elle n’est pas compétente pour les litiges relatifs aux loyers.

https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/quels-cas-saisir-commission-departementale-conciliation.

Dans le projet de Loi 4D, la compétence de la commission départementale de conciliation prévue à l’article 20 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 est élargie.

VI . Les sanctions pénales

Lorsque le représentant de l’Etat dans le département constate qu’un contrat de bail ne respecte pas les dispositions dudit article 140, il peut mettre en demeure le bailleur, dans un délai de deux mois, d’une part, de mettre le contrat en conformité avec le présent article et, d’autre part, de procéder à la restitution des loyers trop-perçus.

Si cette mise en demeure reste infructueuse, le représentant de l’Etat dans le département peut prononcer une amende à l’encontre du bailleur, dont le montant ne peut excéder 5 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale.

Le prononcé de l’amende ne fait pas obstacle à ce que le locataire engage une action en diminution de loyer.

Source : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/presentation_dispositif%20exp%C3%A9rimental%20d%27encadrement%20du%20niveau%20des%20loyers.pdf
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