22.02.2023

Le régime matrimonial à l’épreuve de l’expatriation

Par Pauline LACHICHE, Notaire

La mutabilité automatique prévue à l’article 7 de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 est largement méconnue des époux à qui elle s’applique. Cette disposition ne peut que créer une grande imprévisibilité juridique. 

La mondialisation n’a jamais été aussi perceptible après des années de pandémie ayant restreint la circulation des personnes. L’actualité du marché immobilier français se démarque grandement par l’engouement des clients étrangers à acquérir un bien de prestige, notamment à Paris. Placement dans une valeur refuge qu’est la pierre en des temps d’instabilité économique ou volonté de s’y installer plusieurs mois par an, les raisons diffèrent. On note par ailleurs une attractivité croissante pour l’étranger à travers l’expatriation des jeunes diplômés européens vers les marchés émergents ou les pays d’Amérique du Nord. L’expatriation apparait comme un mode de vie en plein essor. Naguère réservée aux diplomates ou aux ingénieurs détachés par leur pays d’origine pour des missions à l’étranger, elle touche désormais tous les milieux professionnels en raison notamment de la digitalisation voire les retraités. Or, le changement de résidence habituelle d’un couple marié peut avoir de réels impacts sur la loi applicable à leurs relations patrimoniales. Le notaire amené à conseiller une clientèle internationale se doit de veiller à son devoir d’information et de conseil en la matière. En effet, la Convention de la Haye en date du 14 mars 1978 relative à la loi applicable aux régimes matrimoniaux pour les couples mariés entre le 1er septembre 1992 et le 29 janvier 2019 reprend divers critères alternatifs, à défaut de contrat de mariage, dont le premier de principe est la loi de la résidence habituelle des époux après la célébration du mariage. Or l’article 7.2 de ladite Convention retient un principe de mutabilité automatique dès lors que les époux résident pendant plus de 10 ans dans un autre Etat. Ce changement automatique de loi applicable dans le temps peut se révéler périlleux lors de la liquidation du régime matrimonial par suite du divorce des époux ou de l’ouverture de la première succession.

Comment se définit la notion de résidence habituelle ?

La résidence habituelle n’est définie par aucune Convention internationale ou Règlement européen. Il s’agit d’une notion de fait appréciée selon un faisceau d’indices concordants comme le siège de la vie sociale, les liens familiaux, l’emploi des époux, le lieu de scolarité des enfants, l’acquisition d’un logement… (Cass. civ1. 24 février 2016, n° 15-10.288 : l’acquisition d’un immeuble en France, la naissance et la scolarisation des enfants en France étaient de nature à considérer que la résidence habituelle des époux se situait en France alors même que la famille n’avait prévu de s’y établir que pour une durée de 3 ans seulement pour les besoins de l’activité professionnelle de l’époux).

La mutabilité automatique a-t-elle encore vocation à s’appliquer ?

Au 29 janvier 2019 est entré en application le Règlement européen 2016/1103 du 24 juin 2016 dans les Etats membres de la coopération renforcée portant sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. Ce règlement n’a pas repris l’insécurité juridique de ce changement automatique de loi applicable. Pour autant, si ce Règlement constitue le droit international privé pour les époux mariés postérieurement à son entrée en vigueur, il n’en demeure pas moins que les époux soumis au régime de la Convention de la Haye par la date de la célébration de leur mariage encourent toujours le même risque de morcellement de lois par suite de résidences prolongées dans divers Etats. Il en est ainsi d’un couple de Français unis sans contrat de mariage en 1999 partis en expatriation pendant 20 ans à Londres avant de revenir par suite du Brexit : ils se retrouveront soumis de facto à un régime assimilable à une séparation de biens ce qui n’est pas sans conséquence sur la nature des biens acquis ou la qualification des revenus professionnels lesquels ont une valeur commune sous le régime légal français de la communauté de biens réduite aux acquêts.

Comment faire échec au changement de loi applicable ?

Face à des clients ayant changé, sans le savoir, de loi applicable à leur régime matrimonial ou des époux concernés et désireux de venir s’établir durablement en France, le notaire se doit de leur proposer de régulariser un acte de modification ou de désignation de la loi applicable à leur régime matrimonial sur fondement de l’article 22 du Règlement européen susvisé. Par acte authentique, les époux pourront choisir la loi de leur résidence habituelle ou de l’une de leur nationalité. Il sera alors possible de revenir à la loi antérieure à la mutabilité automatique si elle correspondait à la loi nationale de l’un des époux. Le notaire veillera à faire rétroagir cette désignation entre les époux au jour de leur mariage pour éviter un morcellement des biens soumis dans le temps à des lois différentes. Il est tout de même à préciser qu’il résulte du paragraphe 3 de l’article 22 précité que le changement de loi ne saurait porter atteinte aux droits des tiers et réduire le droit de gage des créanciers. Les époux pourront à travers la loi applicable désignée choisir le régime matrimonial légal ou un régime conventionnel à l’instar de la communauté universelle régie par l’article 1526 du Code civil si la volonté d’époux étrangers résidant en France est de protéger le cadre de vie du survivant. Cela sera particulièrement pertinent pour des époux anglo-saxons ayant des enfants communs qui souhaiteraient faire échec au droit de prélèvement compensatoire de l’article 913 alinéa 3 du Code civil.

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