06.05.2024

Licitation au profit d’un tiers à l’indivision et droit de préemption du coindivisaire

Par Sacha POUPON, Notaire

Le terme « licitation » peut être utilisé dans les opérations d’adjudication amiable ou judiciaire d’un bien indivis pris dans son ensemble, ou abusivement, lors d’une vente de gré à gré entre plusieurs coindivisaires entre eux et/ou un tiers à l’indivision. Nous nous concentrerons sur le cas d’une licitation au profit d’un tiers à l’indivision, avec une présentation du droit de préemption du coindivisaire.

Par définition, la licitation correspond en la cession par un ou plusieurs coindivisaires à l’un ou plusieurs d’entre eux, ou à un tiers, de leurs droits indivis.

L’article 815 du Code civil dispose que « Nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision et le partage peut toujours être provoqué, […] ».

Rappelons que chaque indivisaire peut disposer librement de sa quote-part sur un bien indivis sans avoir à requérir le consentement de ses coindivisaires (Cass 1er Civ 4 octobre 2005). Toutefois, le code civil en son Article 815-14 instaure des prescriptions, en évitant l’intrusion d’un étranger au sein de l’indivision tout en permettant à l’indivisaire vendeur de sortir de ladite indivision.

Conditions du droit de préemption du coindivisaire:

L’Article 815-4 du code civil dispose que : « L’indivisaire qui entend céder, à titre onéreux, à une personne étrangère à l’indivision, tout ou partie de ses droits dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens est tenu de notifier par acte extrajudiciaire aux autres indivisaires le prix et les conditions de la cession projetée ainsi que les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d’acquérir.

Tout indivisaire peut, dans le délai d’un mois qui suit cette notification, faire connaître au cédant, par acte extrajudiciaire, qu’il exerce un droit de préemption aux prix et conditions qui lui ont été notifiés.

En cas de préemption, celui qui l’exerce dispose pour la réalisation de l’acte de vente d’un délai de deux mois à compter de la date d’envoi de sa réponse au vendeur. Passé ce délai, sa déclaration de préemption est nulle de plein droit, quinze jours après une mise en demeure restée sans effet, et sans préjudice des dommages-intérêts qui peuvent lui être demandés par le vendeur.

Si plusieurs indivisaires exercent leur droit de préemption, ils sont réputés, sauf convention contraire, acquérir ensemble la portion mise en vente en proportion de leur part respective dans l’indivision ».

Comme indiqué dans l’article ci-dessus, le droit de préemption ne peut être mise en œuvre que dans un contexte et un cadre déterminés.

    • Seuls les actes de cession à titre onéreux, amiable ou forcée peuvent donner lieu à l’application du droit de préemption. Sont exclus du champs d’application les actes juridiques non translatifs (ex : contrat de bail, cessions à titre gratuit)

Attention : Le droit de préemption doit être appliqué en cas de vente déguisée en donation (Cass 3eme civ 18 octobre 2005).

    • Les bénéficiaires du droit de préemption sont les coindivisaires de l’indivisaire qui entend céder à une personne étrangère à l’indivision.
    • Le droit de préemption n’est applicable qu’en cas de cession à titre onéreux de tout ou partie des droits du cédant dans les biens indivis ou dans un ou plusieurs de ces biens. Le droit de préemption n’est plus applicable en cas de cession du bien immobilier indivis lui-même.

A noter : En cas d’adjudication portant sur l’ensemble du bien immobilier, le cahier des conditions de la vente (anciennement, cahier des charges), peut prévoir un droit de préemption et de substitution au profit de chacun des indivisaires. (Article 815-15 alinéa 2 du code civil).

    • L’auteur de la notification peut être l’indivisaire cédant, son mandataire.
    • La notification de la cession doit être effectuée par acte extrajudiciaire. Cela suppose par exploit de commissaire de justice.

La question souvent rencontrée : La notification de la cession par un coindivisaire peut-elle être adressé par lettre recommandée par un notaire, officier public et ministériel ?

Nous rappelons que le texte que l’alinéa premier de l’article 815-14 du code civil, précise que la notification doit être effectuée par acte extrajudiciaire et ce nécessairement par exploit de commissaire de justice. A défaut, la vente réalisée est nulle en application de l’article 815-16 du code civil. Précision étant ici faite, quand bien même l’irrégularité n’aurait causé aucun grief à l’indivisaire concerné. L’article 114 du code de procédure civil est inapplicable en l’espèce. (Cass 1er Civ 5 mars 2002).

    • L’acte de notification de la cession doit mentionner le prix, les conditions de la cession projetée, les nom, domicile et profession de la personne qui se propose d’acquérir.

Précisions sur la valeur juridique de l’acte de notification : La Cour de Cassation (Cass 1er Civ 9 février 2011) a reconnu que la notification était une simple mesure d’information et non d’une véritable offre de vente.

Conséquences du non-respect : la nullité relative :

L’article 815-16 du code civil précise qu’est nulle, toute cession ou licitation régularisée au mépris des dispositions des articles 815-14 et 815-15. L’action en nullité se prescrit par cinq ans. Elle ne peut être exercée que par ceux à qui les notifications auraient dues être faites ou par leurs héritiers.

Formalités et délais d’exercice du droit de préemption du coindivisaire:

En cas de cession amiable, tout indivisaire peut, dans le délai d’1 mois qui suit cette notification, faire connaître au cédant, par acte extrajudiciaire, qu’il exerce un droit de préemption au prix et conditions qui lui ont été notifiés.  Par ailleurs, en cas de préemption, le coindivisaire dispose d’un délai de 2 mois à compter de la date d’envoi de sa réponse au cédant, pour signer l’acte de vente. Passé ce délai, la déclaration de préemption est nulle de plein droit, 15 jours après une mise en demeure restée sans effet, et sans préjudice des dommages et intérêts qui peuvent lui être demandés par le cédant.

Attention : Aucun allongement de délai n’est prévu si l’acquéreur décide de recourir à un prêt.

En cas d’adjudication forcée ou volontaire, chaque indivisaire peut se substituer à l’acquéreur dans un délai d’1 mois à compter de l’adjudication, par déclaration au greffe ou auprès du notaire. (Article 815-15 alinéa 1er du code civil).

Effets de l’exercice du droit de préemption :

Le coindivisaire préempteur est en conséquence investi des droits et tenu aux obligations principales et accessoires de l’acquéreur évincé (ou adjudicataire).

Il a été retenu que le préempteur devait exécuter l’obligation contractuelle de l’acquéreur évincé, de payer la rémunération de l’agent immobilier (sans distinction du type de mandat vendeur ou acquéreur).

Si, dans le cadre d’une cession à l’amiable, plusieurs indivisaires exercent leur droit de préemption, ils sont réputés, sauf convention contraire, acquérir ensemble la portion mise en vente en proportion de leur part respective dans l’indivision.

Mais, dans l’hypothèse d’une adjudication, la Cour de cassation peut décider que l’indivisaire qui a déposé en  premier sa déclaration de substitution se trouvera seul substitué comme acquéreur à l’adjudicataire (Cass. 1re civ., 7 oct. 1997, n° 95-17.071).

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