12.07.2023

Transmission d’une société familiale

Par Benjamin POYET-VICARD, Notaire

Interlocuteur privilégié du dirigeant d’entreprise ou de l’actionnaire, le notaire intervient à ses côtés pour le conseiller tout au long de sa vie, sur les différentes étapes et problématiques patrimoniales qu’il peut être amené à rencontrer. Parmi celles-ci, la transmission de titres de société constitue l’étape clé pour un dirigeant d’entreprise ou un actionnaire d’autant plus si celle-ci a vocation à être transmise à ses enfants.

Sous certaines conditions réunies, il peut bénéficier d’un régime de faveur de transmission ou « pacte Dutreil » qui implique des engagements dans le temps.

La nouvelle organisation – pour être parfaitement sécurisée – peut être doublée d’un pacte d’actionnaires de nature à régir les relations entre les actionnaires, afin d’éviter les conflits et s’assurer que les intérêts communs – dont le maintien du pacte Dutreil seront assurés.

Le pacte Dutreil : un dispositif fiscal de faveur visant à assurer la transmission d’une société familiale

Instauré par la loi d’initiative économique dite loi Dutreil du 1er août 2003, ayant divers objectifs, parmi lesquels faciliter la reprise et la transmission d’entreprises à titre gratuit, ce dispositif d’encouragement à la transmission est entré en vigueur à compter du 1er janvier 2004.

Il apparaît encore aujourd’hui comme l’outil le plus efficace pour assurer la pérennité d’une société familiale et la stabilité de son actionnariat, en permettant une assiette de taxation aux droits de mutation à titre gratuit réduite. Le dispositif permet ainsi de bénéficier, dans le cadre d’une transmission de titres d’une société opérationnelle, par donation ou succession, d’une exonération de droits de mutation à concurrence de 75% (l’abattement est susceptible d’être couplé avec une réduction de droits de 50% en cas de transmission avant 70 ans de la pleine propriété de titres) de la valeur des titres en contrepartie d’engagements de conservation collectif (hors engagement réputé acquis) et individuels d’une durée totale de 6 ans.

Parmi les conditions à recueillir, il est ainsi requis de s’engager à conserver durant au moins 2 ans, un ensemble de titres représentant 17% des droits financiers et 34% des droits de vote de la société à transmettre. Une cession à un tiers qui engendrerait de ne plus respecter ces conditions de seuil aurait pour conséquence de remettre en cause l’exonération pour l’ensemble des signataires et rendre exigible le complément de droits de mutation.

Pour bénéficier de l’exonération, il est également nécessaire que l’un des signataires de l’engagement ou un donataire, héritier ou légataire, exerce une fonction de direction éligible durant l’engagement collectif et pendant 3 ans à compter de la transmission des titres. Si cette condition venait à ne plus être remplie, notamment du fait du décès ou de l’incapacité du dirigeant exerçant, l’exonération pourrait être également remise en cause si aucun signataire ni héritier n’était en mesure de poursuivre l’exercice de la direction jusqu’à l’expiration du délai de 3 ans.

Dans l’hypothèse où le pacte Dutreil porte sur les titres d’une holding animatrice de groupe, celle-ci doit conserver son activité de participation active à la politique du groupe et au contrôle des filiales tout au long des engagements fiscaux soit pendant 6 ans. Pour respecter cette condition, ses filiales peuvent représenter une part prépondérante de l’actif. Dès lors, en cas de cas cession de tout ou partie des titres d’une filiale, le caractère animateur de la holding peut ne plus être effectif ce qui peut engendrer la perte de l’exonération.

Afin de s’assurer de la pleine efficacité de ce Pacte et d’éviter une remise en cause de l’exonération appliquée, il nous semble important de pouvoir aller au-delà de ce dispositif et d’envisager la transmission des titres de la société dans sa pleine globalité, en prévoyant un pacte d’actionnaires qui aura vocation à régir les rapports entre les actionnaires et surtout veiller – par des clauses spécifiques – à la sécurisation des engagements pris.

Le pacte d’actionnaires : une convention pour assurer le respect dans le temps des engagements liés au pacte Dutreil

Pour s’inscrire dans une stabilité familiale et assurer le respect des engagements pris au titre du dispositif Dutreil, un pacte d’actionnaires peut-être parallèlement négocié ou remodelé pour intégrer les rapports entre les actionnaires.

Le recours à une telle convention extra-statutaire présente de multiples intérêts.

Le pacte, par sa nature, est confidentiel alors que les statuts sont publics, le pacte ne lie que les actionnaires signataires et il présente l’avantage d’être d’une grande souplesse. Il peut ainsi contenir des clauses sur-mesure répondant à la volonté des actionnaires à la condition que celles-ci ne soient ni contraire aux statuts ni à l’ordre public.

Ces clauses peuvent être de deux catégories : celles relatives à la gestion de la société, par exemple, celles qui sont relatives aux droits de vote et les clauses sur l’actionnariat : certaines visent à mettre en place des droits d’ordre financier ou des clauses ayant vocation à opérer un contrôle sur les cessions d’actions ou des clauses d’inaliénabilité qui vont empêcher la cession de certaines actions.

Pour assurer la bonne application du pacte Dutreil dans le temps, il peut être inséré un certain nombre de clauses adaptées mais avant tout chose, il faut accorder une grande importance à l’exposé des motifs lequel en préambule du pacte, constitue un élément essentiel de ce dernier. Cet exposé peut reprendre l’historique de l’entreprise et le rôle de ses actionnaires actuels et futurs ainsi que les objectifs du pacte. Cela permet de bien traduire la philosophie du pacte afin de pouvoir éclairer le sens d’une clause en cas de litige.

Pour poursuivre et répondre au maintien des engagements évoqués, il peut être envisagé par la suite dans la rédaction du pacte, l’introduction des clauses suivantes :

  • Une clause d’inaliénabilité des titres portant sur les titres objet de la transmission s’appliquant pendant 2 ans afin de garantir le respect de la condition de seuil ;
  •  Une clause prévoyant l’obligation de nommer à une fonction de direction éligible, l’un des donataires, héritiers ou légataires en cas de décès ou d’incapacité d’un signataire en vue de respecter la durée résiduelle de trois ans ; et
  •  En présence d’une holding animatrice de groupe, une clause d’inaliénabilité des filiales animées qui représentent une part prépondérante de l’activité d’animation applicable pendant toute la durée des engagements fiscaux.

Ces clauses étant prévues pour assurer la bonne application du pacte Dutreil, il se pose inévitablement la question de leur parfaite exécution. En effet, la violation d’un pacte d’actionnaires est le plus souvent moins rigoureusement sanctionnée que la violation des statuts. Pour exemple, une cession de droits sociaux à un tiers en violation d’une clause statutaire de préemption est nulle alors que la violation d’une clause de préemption extra-statutaire ne donne lieu qu’à des dommages-intérêts.

Par ailleurs, bien qu’il soit possible pour garantir l’exécution du pacte, de prévoir d’assortir ces clauses de pares-feux comme une clause pénale ou une clause de désignation d’un gestionnaire du pacte, celles-ci ne nous semblent pas suffisamment dissuasives pour que les clauses protégées soient respectées.

C’est la raison pour laquelle, pour offrir la meilleure efficacité du pacte d’actionnaires et donc la stabilité du pacte familial, il peut être envisagé la réalisation d’une donation des titres de la société avec charges suivant laquelle si le pacte d’actionnaires venait à ne pas être respectée dans son entièreté, la donation tomberait ce qui aurait pour vocation à sécuriser totalement les dispositions extra-statutaires prises.

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