Par Benjamin POYET-VICARD, Notaire
Plus radical que la société à mission, le modèle de la fondation actionnaire largement développé dans les pays du Nord de l’Europe (Bosch, Rolex, Carlsberg ou encore Velux) se développe en France auprès d’entrepreneurs de tous segments et de tous secteurs d’activités (Mediapart, La Montagne, Seaird, Naos, Archimbaud) d’autant plus depuis la loi Pacte qui prévoit qu’une société doit être gérée « en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux ».
C’est ainsi qu’un chef d’entreprise peut souhaiter créer un véhicule philanthropique en vue de mener des actions philanthropiques souvent connexes à l’activité opérationnelle de sa société. Il peut être également porté par un Projet philanthropique dans lequel il souhaite s’investir à la suite de la cession à un tiers de son entreprise ou de la transmission à titre gratuit à un repreneur familial.
Dans toutes ces hypothèses, il peut souhaiter apporter une partie des titres de sa structure opérationnelle pour assurer le financement des actions d’intérêt général poursuivies par le véhicule en créant une « fondation actionnaire ».
Le véhicule philanthropique idéal : le fonds de dotation
A titre liminaire, il convient de préciser que l’appellation « fondation actionnaire » correspond à une situation de fait dans laquelle une fondation reconnue d’utilité publique ou un fonds de dotation devient associé ou actionnaire d’une société à la suite d’une transmission de parts sociales ou d’actions – il ne s’agit pas d’un statut juridique à proprement parlé.
Crée en 2008 à l’occasion de la loi de modernisation et de l’économie, le fonds de dotation offre un statut plus attractif que la fondation reconnue d’utilité publique de par la simplicité de sa création et la souplesse de son fonctionnement. Par une simple déclaration en préfecture et sans autorisation administrative préalable, le fonds de dotation peut être créer avec une dotation minimum de 15.000 €. Il est géré par des administrateurs au nombre de 3 minimum, nommés librement par le fondateur et présente une grande modélisation statutaire, permettant d’encadrer avec finesse dans les statuts, la composition et les conditions de nomination et de renouvellement du conseil d’administration.
Le fonds de dotation offre par ailleurs un cadre fiscal très propice au déploiement des intentions philanthropiques du chef d’entreprise. En tant qu’organisme à but non lucratif, le fonds de dotation n’est pas assujetti à l’impôt sur les sociétés si la gestion de ses participations reste passive, ce qui suppose qu’il n’existe pas de liens économiques entre le fonds de dotation et la société opérationnelle et qu’elles ne partagent pas de dirigeant communs et que, la gestion du fonds de dotation reste désintéressée.
Le fonds de dotation bénéfice également du régime fiscal lié au mécénat, la transmission à titre gratuit ouvre droit pour le donateur chef d’entreprise à une réduction d’impôt sur le revenu de 66% (ou 75% selon l’activité du fonds) de ses dons ou pour son entreprise, d’une réduction d’impôt sur les sociétés de 60% (jusqu’à 2 millions d’euros de dons annuels, au-delà 40%) dans la limite de 20.000 euros ou de 0,5% de son chiffre d’affaires hors taxes si ce dernier est plus élevé.
Financement structuré du fonds de dotation : le transfert de titres de la société opérationnelle
Que la création du fonds soit à l’initiative du chef d’entreprise ou de son entreprise, cette dernière représente une source de financement importante et régulière, que requière la poursuite des actions philanthropiques menées par le fonds de dotation.
Au-delà des financement traditionnels – dotation en numéraire par des versements de revenus ou en nature par le don de biens matériels, la réalisation de prestation de services non rémunérées ou la mise à disposition de salariés gratuite dans le cadre d’un mécénat de compétence -, le chef d’entreprise peut affecter à la dotation des titres de son entreprise afin de permettre au fonds de dotation de percevoir des dividendes.
En fonction du projet de chef d’entreprise, ces titres peuvent être affectés au fonds de dotation de manière plus ou moins définitive. Par une donation en pleine propriété, le chef d’entreprise se dépouillera de manière irrévocable de ses titres sans retour en arrière possible. Alternativement, le chef d’entreprise peut décider de réaliser une donation temporaire d’usufruit de ses titres en la forme notariée qui s’inscrit dans une durée fixée d’au moins trois ans. Si cette option permet au fonds de dotation de bénéficier des dividendes générés par les titres, elle offre la possibilité au chef d’entreprise de choisir à l’extinction de l’usufruit entre les options suivantes : reprendre la pleine propriété des titres, les donner en pleine propriété au fonds de dotation ou renouveler la donation d’usufruit.
Au plan fiscal, que la donation soit réalisée en pleine propriété ou en démembrement au profit du fonds de dotation, elle est exonérée de droits de mutation à titre gratuit. En ce qui concerne la distribution des dividendes, celle-ci s’effectue en franchise d’imposition sous condition que le fonds de dotation ait une dotation non consomptible. Enfin, cette donation n’ouvre droit à une réduction d’impôt au profit du chef d’entreprise ou de sa société, que dans le premier cas, lorsqu’elle est réalisée en pleine propriété.
Deux nuances sont à apporter sur ce transfert de titres.
La première est que le chef d’entreprise qui envisage d’octroyer une partie du capital de sa société doit garder à l’esprit la notion de réserve héréditaire – laquelle pourrait constituer un obstacle majeur à la transmission des titres de sa société au fonds de dotation. Notion d’ordre public, le chef d’entreprise ne pourra disposer que de la quote-part dont le défunt peut librement disposer appelée quotité disponible. Deux techniques peuvent permettre toutefois d’aménager ce dispositif : le fondateur peut faire consentir à ses héritiers une renonciation anticipée à l’action en réduction pour éviter la remise en cause de l’opération ou recourir à une donation-partage afin que la valeur des titres soit gelée pour le calcul de la réserve héréditaire.
La seconde nuance est que si le fonds de dotation peut détenir une partie du capital de l’entreprise, il ne doit pas s’immiscer dans la gestion de cette participation et ne doit comme on l’a vu précédemment ne conserver qu’un rôle passif. En présence d’une participation majoritaire, il peut être recouru à un aménagement des droits de vote ou à une interposition par une holding, pour éviter tout risque de requalification.
Des bénéfices multiples : stratégie altruiste – cession à un tiers ou transmission familiale – pérennisation des valeurs de l’entreprise
Au-delà de fédérer l’entreprise et rassembler les membres d’une famille autour de causes altruistes et de projets collectifs communs, le création d’un fonds de dotation « actionnaire » peut-être s’insérer de manière connexe à une stratégie patrimoniale de cession à un tiers ou de transmission intrafamiliale.
Dans la première hypothèse d’une cession à un tiers repreneur, le chef d’entreprise peut réaliser une donation d’une partie de ses titres au fonds de dotation avant de procéder à la cession de son entreprise, faisant bénéficier alors le fonds, du mécanisme de donation précession – sous condition que l’intention libérale soit bien présente et que la chronologie des opérations soit bien respectée. Par l’effet de la donation, la plus-value portant sur les titres donnés est purgée ce qui permet de réduire la charge fiscale. Le fonds de dotation cède ensuite au tiers repreneur les titres reçus lui octroyant des liquidités pour financer ses actions d’intérêt général.
Dans la seconde hypothèse, la démarche est plus philosophique puisque ce fonds de dotation peut être utilisé pour répondre à une stratégie philanthropique de pérenniser – à travers ce véhicule – les valeurs fédérées par l’entreprise mais également de s’assurer dans une optique de transmission familiale, que les membres de la famille soient réunis autour d’un système de valeurs communes et éviter toute prise de décision ou de contrôle hostile de nature à perturber l’équilibre de l’entreprise.